Black Panther, communautés et société : il est (re)venu, le temps des tribus.
La représentation de la diversité de la population dans une société “de souche blanche” peut-elle améliorer les rapports entre les communautés, ou n’est-ce que de la cosmétique ? Changer les perceptions, est-ce changer la réalité ? Alors que le film Black Panther fait un carton au cinéma, com&unity creuse la question.
L’actrice Frances McDormand, Oscar de la meilleure actrice 2018, a (re)lancé un vif débat en soutenant l’insertion de “clauses d’inclusions” (“inclusion riders”) dans les films. Objectif : une représentation juste de toutes les communautés, de la réalité de la diversité “ethnique” de nos populations. Quelques semaines plus tôt sortait le film Black Panther, l’événement de ce début d’année : le nouveau Marvel a tout simplement signé le deuxième meilleur démarrage de l’histoire d’Hollywood. Or c’est le premier film, depuis 20 ans (et Blade), qui met en scène un super-héros noir.
Le pitch : T’Challa, ou la Panthère Noire (Black Panther en anglais), est un super-héros Marvel apparu pour la première fois en 1966 dans ses BD. Roi du Wakanda, une nation africaine fictive, T’Challa affronte différents ennemis dont Klaue, un physicien néerlandais qui cherche à mettre la main sur les ressources technologiques du Wakanda…
Y a bon Banania !
Aux Etats-Unis, où l’esclavage a été légal jusqu’en 1865 et où la ségrégation raciale était encore autorisée il y a à peine plus de 50 ans (c’est en 1967 qu’elle a été abolie), la “question raciale” a toujours été sensible et des “émeutes raciales” secouent régulièrement le pays. On imaginait que l’élection d’Obama, premier président noir de son histoire, avait fait basculer les Etats-Unis dans l’ère “post-raciale”. C’était candide, l’ex-Président l’a lui-même admis, le retour de flamme est violent avec l’élection de Trump — dont les affinités avec les sphères racistes et “suprémacistes” ne font plus grand doute. Aux USA, comme en France d’ailleurs, les sujets de l’identité et des rapports entre les communautés sont loin d’être apaisés.
Dans une société américaine fracturées de toutes parts et dans un monde qui semble en voie accélérée de “communautarisation”, ce film qui porte haut le drapeau de la “Black Pride” est riche d’enseignements. Et il pose une question : la représentation médiatique d’une communauté peut-elle changer sa réalité, en changeant les perceptions ? Le storytelling peut-il écrire l’histoire ? C’est tout l’enjeu de la bataille culturelle, la bataille des esprits, et d’une grande part du soft power (pouvoir d’influencer les décideurs, sans les contraindre).
La représentation des communautés : aux Noirs la nature, aux Blancs la culture
La communauté noire possède une relation particulière aux pays occidentaux, en particulier les empires coloniaux et Etats-Unis, qui ont réduit en esclavage plusieurs millions d’Africains entre les 17ème et 19ème siècle. L’abolition de l’esclavage n’a pas effacé le passé ni (r)établi l’égalité et l’harmonie entre les communautés. Si le droit n’autorise plus la moindre discrimination, sauf “positive”, la réalité est encore loin d’un melting pot où la couleur de peau n’aurait aucun impact sur la vie des uns et des autres.
A l’époque coloniale, l’”ethnocentrisme” était de mise : le Noir était un sauvage, bon et souriant en général, le Blanc représentait la civilisation. Les récits et peintures du 18ème siècle (expo à voir au musée du Quai Branly en ce moment !) portaient tous un message sans équivoque : l’Afrique et le Moyen-Orient sont des terres sauvages, peuplées d’êtres non-civilisés, qui auraient gardé en eux les richesses de “l’état de nature” cher à Rousseau. Les marques et leur branding ont allègrement joué du cliché, Tintin au Congo ou le personnage “Ya bon” Banania l’illustrent parfaitement : aux Noirs la nature, aux Blancs la culture.
Little Black Sambo, symbole des changements de mentalité
L’évolution du personnage “Little Black Sambo” (“Sambo le petit noir”, en français) de Disney, racontée dans un passionnant récit de Hélène Combis sur France Culture, révèle bien comme les mentalités et les représentations ont évolué depuis. La 2ème guerre mondiale, et la décolonisation qui s’en est suivie, a mis le racisme hors la loi.
Les représentations ont totalement changé — au point qu’un joueur de foot qui se grime en basketteur se fait reprendre sévèrement par la patrouille car sa “Black Face” rappelle de funestes souvenirs aux membres de la “communauté noire”. S’il est loin, le temps de Banania et de Tintin au Congo (qui a vu ses planches versant trop colonialisme être retirées de l’album), Omar Sy, une des personnalités préférées des Français, ne reste-t-il pas le bon Noir qui rigole et danse tout le temps, au grand coeur, simple, dans Intouchables comme dans beaucoup de ses rôles ? Son personnage qui rouvre ses yeux d’enfant au Blanc bourgeois qui, coincé dans sa civilisation, ne sait plus profiter de la vie, n’est-il pas ce “bon sauvage” des siècles passés ? La question se pose d’autant plus que, dans l’histoire vraie qui a donné lieu au film, Omar Sy aurait du être un “Arabe” plutôt tendance racaille…
Bref, l’imaginaire associé aux individus originaires des pays d’Afrique (qu’ils y vivent ou aient émigré en Europe), et leur représentation dans les médias, est loin de les avoir “normalisés” dans les sociétés où ils représentent une minorité.
“Est-ce que Jamel jouera le même rôle sa vie entière?”
“Est-ce que Jamel jouera le même rôle sa vie entière ?”. Disiz la peste, dans son beau morceau Jeune de Banlieue, posait LA question. Les épisodes de l’éviction de la militante afro-féministe Rokhaya Diallo du Conseil national du numérique — à la demande du gouvernement — ou du concert de Black M à Verdun, annulé suites à des pressions des élus locaux d’extrême droite, montre qu’on est encore loin du compte… On pourrait aussi citer “l’affaire Benzema”, écarté de l’équipe de France de foot sans qu’on sache vraiment pourquoi (ce qui laisse libre cours aux accusations de racisme, ce dont Benzema ne s’est pas privé), les manifestations du Ku Klux Klan à Charlottesville l’été dernier, ou encore Marine Le Pen au second tour des présidentielles 2017 dans l’indifférence générale : elle est encore bien loin, la société “post-raciale” — en tous cas chez les décideurs.
Black Panther, “pour que tous les enfants noirs puissent se voir comme des super-héros”
Dans ce contexte tumultueux, Black Panther marque un tournant majeur dans l’histoire de la représentation médiatique des Noirs. Pour la première fois, Marvel (qui appartient au groupe Disney), a fait le choix de tout miser sur un héros noir et de confier la réalisation du film à un réalisateur afro-américain. L’année dernière sortait Wonder Woman, premier film de super-héroïne. Et dans la même veine, Disney (qui possède aussi Lucas Film) a choisi une femme et un Black comme personnages principaux de la nouvelle trilogie Star Wars. Le virage opéré par Hollywood est clair : dans des sociétés qui sont (devenues) des melting-pots, finie la mainmise de l’Homme blanc sur les premiers rôles. C’est le sens du soutien exprimé par Frances McDormand à l’insertion de “clauses d’inclusion” (inclusion riders), qui exigent une représentation ethnique “juste”, en phase avec la réalité, dans les contrats de production de films.
Le rappeur Kendrick Lamar interprète la BO de Black Panther. En expliquant son engagement sur ce projet, il a souligné l’importance des role models, ces figures inspirantes qui changent les mentalités en donnant confiance à celles et ceux qui s’identifient à eux : son but était “que tous les enfants noirs puissent se voir comme des super-héros”, pas comme le personnage secondaire qui meurt toujours en premier.
Notre époque ne manque pas de role models de couleur. L’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis en 2008 avait suscité un fort élan d’espoir — aux Etats-Unis comme ailleurs. En France, l’élan Black Blanc Beur de 1998 voyait la population française en pâmoison devant le kabyle Zinédine Zidane ou l’Antillais Lilian Thuram, à une époque où le rap hexagonal explosait, d’ailleurs : la fin du siècle précédent semblait annoncer que la diversité de notre population était en train de devenir “normale”. La cote de sympathie de personnes comme Omar Sy, Jamel Debouzze, Maître Gims, ou encore Paul Pogba par exemple, semble l’indiquer.
Inclusion réelle ou storytelling cosmétique ?
Quelques détails viennent ternir ce beau tableau. Kendrick Lamar a repris les codes vestimentaires africains dans All The Stars, le clip phare de la BO de Black Panther. Un bel hommage au continent africain… qui pourrait aussi s’apparenter à une forme d’« appropriation culturelle ». Kendrick Lamar est né en Californie, de parents originaires de Chicago : il n’a d’Africain que sa couleur de peau, le voir s’exhiber en boubou pose question.
Black Panther se veut militant de la “cause noire”, en ayant moult recours aux représentations de l’Afrique. Pourtant, le film représente et vise avant tout des Afro-américains : cette mise en scène de l’Afrique, tribale et pas loin de certains clichés coloniaux, ne vient-elle pas pas alimenter les stereotypes contre lesquels les Noirs doivent souvent se battre ? La caricature serait-elle bonne pour le « black business »…?
Et puis, si le storytelling et la représentation médiatique peuvent changer les mentalités, ils peuvent aussi contribuer à mettre la poussière sous le tapis : on se donne bonne conscience en brossant les fiertés dans le sens du poil avec un joli coup de maquillage, mais on ne change rien à la réalité. Youssoupha, dans A force de le dire :
Je m’rends bien compte de la victoire noire Américaine
Mais on n’change pas le monde en un week-end avec un « Yes We Can »
Chacun pour soi et Dieu pour tous
La démarche identitaire de Black Panther n’encourage-t-elle pas, finalement, le communautarisme, le repli sur soi, ses origines et « les siens », plutôt qu’elle ne pousserait l’inclusion et la diversité ? En France, le collectif afro-féministe Mwasi a organisé une projection “non-mixte”, c’est-à dire réservée aux Noirs, de Black Panther. Quand la valorisation des identités sert une démarche de “chacun chez soi”, on peut se poser des questions.
Nous avons créé com&unity parce qu’il nous semble crucial de reconnaître les communautés et d’adresser les questionnements et tensions identitaires dont nos sociétés occidentales sont perclues aujourd’hui. Nos méthodes de branding ou de storytelling, comme nos contenus de brand content, visent à valoriser les singularités, à activer le levier des fiertés — individuelles et collectives. Dans un but d’unité, de rassemblement : notre objectif ultime, c’est de valoriser les singularités, les différences, et leurs complémentarités, afin de créer des ponts entre les communautés. Ceci nous paraît vital, à l’ère des algorithmes et des réseaux sociaux qui tendent à enfermer chacun dans sa bulle.
Black Panther sert la reconnaissance de la communauté noire, aux Etats-Unis comme dans le reste du monde. Mais sa démarche, aux relents de “tribalisme”, de valorisation assez essentialiste des origines, est-elle de nature à favoriser les coopérations, l’ouverture, l’échange ? Chacun sa fierté, youpi, et ensuite ?
Aimé Césaire : le communautarisme, étape vers la possibilité d’un vivre ensemble universel
Aimé Césaire écrivait qu’il faut se (re)connaître tel qu’on est, avec notre histoire, nos origines, dans la relation à notre communauté… pour pouvoir s’ouvrir aux autres. En reconnaissant “son identité de nègre”, il pourra s’ouvrir au monde. Il signifie ainsi que, aussi vitale soit-elle, la fierté d’être ce qu’on est, dans notre singularité, n’est pas une fin : elle est un moyen, une étape, vers l’universel. C’est notre conviction, chez com&unity.
A l’heure où nos sociétés semblent se fragmenter de toutes parts et se cherchent un ciment, ne l’oublions pas : si l’universel peut être et a pu être un alibi bien pratique pour établir et maintenir toutes sortes de dominations, il n’en reste pas moins qu’il nous semble le seul horizon qui puisse rassembler les hommes dans une seule race — l’humanité.
Pour être universel, nous disait-on en Occident, il fallait commencer par nier que l’on est nègre.
Au contraire, je me disais : « plus on est nègre, plus on sera universel ». (…)
C’était un effort de réconciliation. Une identité, mais une identité réconciliée avec l’universel. »
Aimé Césaire